dimanche 24 juillet 2011

En scène !

Extraits du chapitre "il était une fois" de " La photographie dans l’art contemporain", par Charlotte Cotton, édition Thames & Hudson l’univers de l’art

« Ce chapitre aborde la manière dont la narration est utilisée dans la photographie contemporaine (…)

Ce champ de la pratique photographique est souvent appelé « photographie-tableau » ou « tableau-photographique », car le récit y est concentré dans une seule image, laquelle est autonome. A la différence dans des romans-photos et autres essais photographique publiés dans les magazines au milieu du siècle dernier, forme caractérisée par un récit qui se déroule sur une séquence d’images, les photographies reproduites ici ont pour point commun de contenir chacune l’intégralité d’un récit, et ce même si elles font, comme c’est le cas pour la plupart, partie d’une série. Il est possible de considérer la photographie-tableau comme l’héritière de l’art photographique, et plus précisément de la peinture figurative des XVIIIème et XIXème siècles, étant donné qu’elle repose elle aussi sur le fait que le spectateur est culturellement capable de reconnaître un ensemble de personnages et d’accessoires comme formant un moment significatif d’une histoire. Il ne faut pas croire pour autant que cette affinité de la photographie contemporaine avec la peinture figurative est le résultat d’un mimétisme aveugle ou d’un désir de faire revivre cette forme. Elle témoigne en revanche d’une même volonté de comprendre comment une scène peut être construite de façon à ce que le spectateur reconnaisse qu’une histoire lui est racontée (...)








Passerby, par Jeff Wall, 1996

Wall crée une tension entre l’apparence de cette photographie, qu’on croirait prise de façon instantanée, et le véritable processus qui a conduit à son élaboration, qui repose sur la conception et la construction de l’ensemble de la scène(...)

Il est intéressant de noter que cette démarche qui consiste à concentrer toutes les énergies en vue de la réalisation d’une seule image contribue à remettre en question le mythe du photographe solitaire car dans la mesure où il fait appel à des acteurs, des assistants et des techniciens pour obtenir son tableau photographique, il n’est plus l’unique créateur de l’œuvre mais davantage l’orchestrateur d’une équipe : l’équivalent d’un réalisateur de films dont l’imagination exploite une multiplicité de fantasmes et de réalités.

La photographe américaine Sharon Lockhart (née en 1964) mêle la photographie documentaire, en tant que représentation directe d’un sujet, avec des éléments qui nous amène à douter de cet aspect documentaire. Dans une série de photographie représentant une équipe japonaise de basket féminin, elle joue avec l’équipe entre faits et fiction, cadrant des figures isolées ou des groupes de joueuses, puis éliminant autour d’elles une partie du contexte de sorte que leurs mouvements et le jeu lui même deviennent abstraits. Dans Group#4 : Ayako Sano, elle a isolé l’attitude quasi chorégraphique d’une joueuse de façon à ce que son geste soit réduit à sa plus simple expression : mouvement de danse que la photographe aurait pu lui demander d’effectuer. Le doute s’insinue dans la signification même de l’image, venant subvertir les règles du jeu et la fonction documentaire de la photographie.








Group#4:Ayako Sano



L’un des moyens visuels fréquemment utilisés dans la photographie-tableau pour susciter l’anxiété ou l’incertitude quant à la signification d’une image consiste à représenter des personnages qui tournent le dos au spectateur. Dans la série de Frances Kearney (née en 1970) intitulée Five People Thinking the Same Thing, cinq individus sont ainsi photographiés en train de vaquer à des occupations banales dans des intérieurs dépouillés. Les pensées qui préoccupent ces personnages dont on ne connaît pas l’identité ne sont pas dévoilées, ce qui permet au spectateur d’échafauder ses propres hypothèses à partir de représentation à la fois simples et subtiles des gestes et de la maison des personnages.








Five People Thinking the Same Thing

Dans March 2002, Hannah Starkey (née en 1971) utilise ce même procédé pour donner à une femme assise dans une cantine orientale un air surréaliste et mystérieux. Les lectures possibles du personnage vont de la citadine sophistiquée attendant un rendez vous à une créature plus imaginaire, dont la longue chevelure argentée se déploie telle celle d’une sirène tout droit sortie de la scène aquatique peinte sur le mur. On a le sentiment que les photographies mises en scène par Starkey ont été obtenues à partir d’observations personnelles, les a enjolivées et transformées en subtiles fictions photographiques ponctuées de fantastique. Dans ses photographies comme dans celles de Kearney, le spectateur ne dispose pas d’assez d’informations pour faire du caractère des personnages le point central de l’image. En revanche, le sens se construit à partir des liens que nous tissons entre le lieu, les objets et la personnalité possible des gens dépeints. La mise en scène qui les entoure est le seul indice permettant de cerner leur personnalité.







Untitled

vendredi 22 juillet 2011

Lectures alternatives

C'est l'illustration physique de la construire d'un raisonnement.
En premier lieu... Dans un second temps... En d'autres mots...Cependant...D'une part... d'autre part... Enfin... Finalement

jeudi 14 juillet 2011

L'hypothèse photographiquement parlant

J’aurais pu être sportif de haut niveau…

Souffle, rythme, course, étirement, forme, pulsation, épuisement, transpiration, joie, décompression, rigueur, équilibre, survêtement, muscles, échauffement, dynamisme…

La photographie c’est comme un sport nécessitant un entrainement intensif : manipuler des appareils de poids divers, travailler la dextérité de l’indexe déclencheur, ainsi que l’échauffement du coude porteur. La souplesse du corps est un paramètre déterminant dans l’implication physique du photographe. La légèreté de certain appareil photo numérique, engendre des positions improbables en vue d’obtenir un cliché singulier. Plus la contorsion est complexe, plus le cliché prendra de la valeur. C’est ainsi, qu’à certains endroits touristiques, à proximité de la Tour Eiffel en été par exemple, nous pouvons assister à une chorégraphie improvisée, un bal du numérique.

La photographie est « …un sport de luxe que l’on pratique à prélever des petits bouts de vie sans rien tenir dans ses mains. »p35, (1). Valérie Jouve remet en question l’authenticité de sa propre activité. Elle met en évidence, le paradoxe entre l’investissement intellectuel dans le travail photographique et les moyens mis en œuvre pour parvenir à un résultat de qualité. C’est une sorte de mise en garde contre le dopage des photographes du à un suréquipement produisant des images esthétisantes. Lorsqu’un sportif gagne une compétition, il fait de la pub pour l’équipement qu’il portait lors de cet événement. C’est aborder par là, la question du mérite. « Avec le même appareil photo, je peux faire pareil ! »

Pratiquer la photographie en tant qu’artiste, c’est s’approcher du style de vie d’un athlète sportif. Toute l’année, il s’agit d’approfondir la technique, ou du moins la maîtrise de son programme de travail pour le tester lors de concours, dont la victoire est fondamentale pour commencer une carrière, être connu et reconnu. Si le sportif (photographe) n’arrive pas à un niveau de performance reconnu, la reconversion est souvent incertaine et rude. C’est à ce moment là que la souplesse et la flexibilité rentrent en jeu. « Vous êtes dotée d’une incroyable capacité à mesurer les risques ainsi que les conséquences de vos actes. » Voilà le bilan de mon niveau d’audace selon un test sociologique d’un magazine féminin. Pratiquer la photographie (le sport) est une manière de se préparer à affronter la dureté de la vie.

Notre regard est éduqué en même temps que notre capacité d’analyse du quotidien. Si nous parlons en terme d’objectif, l’important c’est le mental : la faculté de distanciation et de prise de recul sur toutes sortes de situations, soit les traits du parfait travailleurs: « Dans les représentations actuelles, l’artiste voisine avec une incarnation possible du travailleur du futur, avec la figure du professionnel inventif, mobile, indocile aux hiérarchies, intrinsèquement motivé, pris dans une économie de l’incertain, et plus exposé aux risques de concurrence interindividuelle et aux nouvelles insécurités des trajectoires professionnelles. »p1, (2) C’est un sport individuel où la mise en place d’une stratégie est subjective et laborieuse car elle vient à force de travail et de multiplication d’expériences. Le risque pour un photographe surentrainé c’est de ne plus se frotter aux risques et de se conforter dans la systématisation d’un travail qui marche. C’est le piège de la société de consommation, autrement dit la contre-performance du sportif « Je suis tellement dans le faire, qu’il m’est difficile de trouver le temps pour le recul et la réflexion. » P54 : « Si je deviens trop dirigiste, je rate en voulant quelque chose car je me regarde moi. » p49, (1) Le tout est d’arriver à garder une honnêteté dans sa ligne de conduite. Ici, la photographe a conscience de ce danger et se laisse faire jusqu'à un certain point. L’écriture est une étape nécessaire à l’avancée du travail. C’est une manière de conserver l’esprit sportif : le goût de l’effort et l’humilité.

A la longue, le photographe se professionnalise et acquiert des automatismes, son œil est éduqué à voir, à repérer les scènes qui l’intéressent. « …l’exigence première est de photographier les choses comme elles sont (…), la volonté d’accepter le monde tel qu’il est, de ne rien changer au motif tel qu’il se présente à l’appareil(…)p16, (3) Autrement dit la recherche de l’authenticité ouvre les voies vers le podium.

J’aurais pu être médecin…

ausculter, prescrire, questionner, conseiller, diagnostiquer, traitement, maladie, médicament, contrôle, patient, fatigue, 22euros, ordonnance, symptôme, rendez vous, bureau, protocole, santé, prévention, raisonner, écouter

Etre photographe c’est jouer le rôle du médecin. Regarder, écouter, analyser, en tirer des conclusions ou des hypothèses. Par définition un médecin est chargé de soigner les maladies, pathologies, et blessures de ses patients. Il est intimement lié avec d'autres professionnels de la santé comme le pharmacien ou l'infirmier ou le dentiste. Tout comme l’artiste est lié aux galeristes, au commissaire d’exposition ou aux entreprises de fabrication. Le photographe pratique la médecine intuitive. Il construit une description du réel de manière à s’orienter, se positionner et agir. A défaut de diagnostiquer une maladie, il cherche à comprendre les enjeux de la société. Il synthétise l’expérience du monde en l’objectivant et gratuitement…

Il y a celui qui fait des visites à domicile, qui va à la rencontre du sujet ; et celui qui consulte sur place, soit un photographe en studio. Le stéthoscope est l’appareil photo du médecin. Il permet d’extérioriser ce qu’il se passe à l’intérieur du corps. Ce sont des outils de travail pendu au coup qui permettent d’établir un lien entre le sujet et l’osculateur. L’approche photographique de Valérie Jouve et une approche scientifique.« A la manière de l’enquête sociale, par laquelle elle est venue à la photographie pendant ses études d’anthropologie, croisant les modes d’approche et d’adresse, conjuguant méthode quantitatives et approches plus singulière, cette dernière utilise nombre de possibilités de l’image documentaire : les figures, les passants, les parcours, les sorties de bureau désignent dans leur approche sérielle des types plutôt que des individus. »(1) Son art émane de sa capacité à saisir le moment de suspension fragile dans l’improvisation de ses acteurs devant son objectif. Comme si toute la composition s’écroulait, après l’action de l’indexe sur le déclencheur. C’est là, une précision de chirurgien qui est demandé, sauf qu’au lieu d’une vie, c’est la réussite d’un cliché qui est en jeu. Henri Cartier Bresson dit : "la joie pour moi, c'est le réflexe immédiat devant le sujet qui disparaît" "si on veut, on a rien, il faut être disponible, réceptif"(4) Le regard aiguisé, l’expérience et la distanciation, tels sont les critères d’évaluation d’un bon photographe.

Tandis que le médecin délivre une ordonnance à son patient, indiquant la marche à suivre d’un traitement, le photographe choisit et se positionne par rapport à son sujet. En réalité, les deux démarches sont ancrée dans l’incertitude : le patient refusera peut être de suivre les indications, et le sujet (paysage, humain, abstrait) ne se pointera peut être pas au rendez vous. Edouard Boubat dit : « Il y a des photos qui m’attendent partout, il suffit que j’aille les pécher »(4) Médecins et photographes doivent faire preuve d’une grande attention à tout symptôme apparent ou supposé. Pour l’un c’est un devoir, pour l’autre c’est une nécessité. Il s’agit d’une vocation, un engagement entier et sincère qui sort de l’ordinaire.

Il arrive que le médecin recours à la photo pour étudier l’état ou l’évolution d’un mal. Ces clichés sont totalement objectifs. Ils n’ont de sens que de pouvoir être analysés selon un protocole scientifique précis et normé. Il arrive à Valérie Jouve de travailler en série, non pas pour saisir une évolution mais plutôt pour établir un constat primaire sur l’humain.« Cette forme typologique, dans laquelle chaque individus est dès lors envisagé comme un spécimen, se trouve accentué parfois par le recours au détourage des corps : l’isolement sur un fond neutre et identique de chaque silhouette renforce l’approche comparatiste. »(1) Accrochées dans un White Cube, ces photos prennent tout leur sens. L’espace prend alors l’aspect d’une salle d’opération aseptisée, ou chaque photo prend l’air d’un patient sur le mur d’opération. Certains clichés occupent une salle d’attente, d’autres, sont isolées, mis en quarantaine. Ils constituent les symptômes du monde extérieur. C’est le double aspect de la visite d’exposition d’art contemporain : le côté mondain culturel, et l’autre côté : l’exposition d’un état du monde qu’il est facile d’oublier de considérer.

Un bon technicien, n’est pas forcément un bon photographe. L’art contemporain se caractérise par l’indécision. Quand un traitement ne marche pas ou engendre des effets secondaires, cela peut donner des indications au scientifique sur la nature de la maladie.

Léa Pagès

(1) Valérie Jouve, En attendant, On Hold, Ed du Centre Pompidou, Paris, 2010.

(2) Portrait de l'artiste en travailleur, Métamorphose du capitalisme par Pierre-Michel Menger .

(3) Le style documentaire, d’Auguste Sander à Walker Evans (1920-1945), par Olivier Lugon, ed ; Macula.

(4) dvd Sur une idée de William Klein, CONTACTS. Les plus grands photographes dévoilent les secrets de leurs images. Volume 1 ARTE VIDEO.